Cancéro-Gène partie 4

Publié le par Stelio

 

***

Mon dieu. C'est encore pire que tout. Comment avait-il pu oser ? Après tout ce qui s'est passé, j'aurais pu tout imaginer mais pas ça. Je crois que je vais vomir. J'ai la nausée rien qu'en y pensant.

Je reviens de la chambre d'Axel. Elle est encore en désordre mais au moins ça avance.
Je continuais à jeter les déchets. Je trouvai encore, disséminé parmi les emballages de nourritures en tout genre, d'autres petits squelettes. La plupart étaient ceux de rats malheureux qui étaient passés sous la griffe avide de mon fils. Je commençais à me faire à l'idée qu'il ait pu manger ces bestioles. Enfin, je préférais quand même ne pas trop y penser car à m'imaginer Axel en train de les dévorer crus, j'avais envie de vomir.
Soudain, je trouvai quelque chose d'une autre nature. C'était une pantoufle minuscule. Elle avait apparemment appartenu à une fillette. Elle était rose bonbon et avait, en guise de figure de proue, la tête d'un lapin souriant. La couleur n'était pas tout à fait uniforme. Il y avait dans ce rose cochon des tâches plus sombre.
Pendant quelques secondes, je ne compris pas ce que faisais là cet objet incongru pour la chambre d'un adolescent. Brusquement, la vérité me frappa comme un coup de tonnerre. Je tenais à la main un objet que la police avait cherché un mois auparavant. Une trace de la petite fille qui s'était faite enlevée non loin de chez moi. Son autre pantoufle avait été la seule trace qu'on avait retrouvée d'elle dans sa chambre.
Axel était le tueur. Il avait été le dévoreur de petites filles.Comment avais-je pu être aussi aveugle ?
Je sens que je vais devenir folle. Quand donc est-ce que ça va finir ? Pourquoi ce cauchemar ne s'est-il pas terminé avec la mort d'Axel ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?

*

Désolée pour ma crise de toute à l'heure. J'ai téléphoné à Herbert. Il a été sidéré d'apprendre la nouvelle.

Je suis prête à reprendre l'histoire.

Le vendredi j'allais travailler normalement. Pendant mes heures de travail, je reçus même la visite de monsieur mains moites. Il voulait voir si je n'avais pas oublié pour le lendemain. Je lui assurais que non et il n'insista pas. Pourquoi l'aurait-il fait ? Il n'avait pas besoin de se presser. Il m'aurait pour lui seul pendant tout le week-end.

De retour à la maison, après le travail, je ne pris pas de tour de garde auprès d'Axel. Non, j'étais trop occupée à faire ma valise pour le lendemain. En temps normal, je l'aurais faite trois jours auparavant mais à ce moment-là, mes préoccupations en avaient détourné mon esprit.
Le soir arriva bien vite. La valise était prête quand je préparais le repas du soir, affamée comme je l’étais par tout ce travail. J'étais attablée avec Lucas. Je le connaissais depuis peu mais cela m'avait suffi pour comprendre qu'il était ce qu'on appelle une grande gueule. Pourtant, ce soir-là, il resta étrangement silencieux. Eut-il une prémonition de ce qui devait lui arriver ou bien était-ce tout simplement l'imminence de mon départ qui lui pesait sur le cœur ? Je ne le sais pas. Je ne le saurais jamais. Ce fut la dernière fois que je le vis. Si j'avais su ce qu'il lui arriverait, jamais j'aurais accepté son aide.

*

Après m'être remplie le ventre, je décidai d'aller porter le repas d'Axel au grenier. Là-haut, je demandai à Herbert de me laisser seul avec mon fils. Il obtempéra bien que je sois sûre qu'il est resté en bas de l'escalier, l'oreille tendue, prêt à intervenir au moindre problème.
Pendant qu'Axel mangeait, je le regardais avec toute la tendresse dont j'étais capable vis à vis de lui à ce moment-là. A ma grande surprise, le flot d'amour coulait encore abondamment.
- Pourquoi ne redeviens-tu pas toi-même ? demandai-je.
Les larmes me montèrent aux yeux. J'allais pleurer, je le savais.
J'avais envie de l'étreindre contre mon cœur. Pouvoir serrer mon fils dans mes bras aurait soulagé un peu de mon chagrin mais je ne pouvais pas. Axel aurait été capable d'en profiter pour me mordre.
C'était ça le pire. Pouvoir le voir mais ne pas pouvoir le toucher sans risquer ma propre vie.
- Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? ne cessai-je pas de sangloter.
Les larmes avaient finies par déborder. Je ne les frottais pas. Je les laissais couler sur mes joues. En tombant elles formaient de grosses gouttes qui tâchait le sol.
- Je t'aime. Des fois, j'ai eu de t'étrangler quand tu faisais des bêtises mais je t'ai toujours aimé. Tu es mon trésor, pleurais-je.
Je me souvenais de toutes les fois que je lui avais crié dessus. Une fois, il était revenu tout sale. Il avait joué dans la boue avec ses amis. J'avais dû faire plusieurs lessives avant de réussir à ravoir toutes les tâches de ses vêtements. Ce jour-là, Axel était monté en pleurant dans sa chambre les fesses rouges d'avoir reçu une fessée bien méritée. Mais si je me rappelais de tous ces moments-là, ce sont les instants de tendresses qui me venaient le plus souvent à l'esprit. Les fois où je l'ai serré si fort dans mes bras et ou il se laissait faire. Ou les fois où il voulais s'enfuir. Les bisous que je lui faisais le soir pendant qu'il dormait. Ceux que je recevais le matin et le soir. Tous ces petits trucs me chamboulaient sans que je le veuilles.
- Redeviens toi-même, gémis-je. Fais-le avant qu'il ne soit trop tard. Si rien n'a changé d'ici lundi, nous serons obligés de te laisser enfermer dans un hôpital psychiatrique. Je sais que tu peux le faire. Fais-le. Tu en es capable.
Je savais que ces dernières paroles étaient des mensonges mais à qui étaient-ils destinés ? Axel ne me comprenait plus ou s'il me comprenait il ne me le montrait pas. Je m'accroupis au sol. Je laissais le plateau devant moi. Axel ne réagit pas. Il continuait à manger comme si de rien n'était. Privé de mon soutien, une bonne partie de ce qu'il avait en bouche coulait le long de son menton et finissait par s'étaler en une traînée écœurante sur ses vêtements.
Incapable d'en voir plus, je me mettais les mains devant les yeux et je sanglotais de plus belle. Ce fut inutile, j'avais beau ne rien voir, je me remémorais la scène que je venais de voir. Voyant que c'était inutile, je finis par me lever et m'enfuir.

En sortant du grenier, je tombai sur Herbert au bas de l'escalier. Il ne dit pas un mot. Je passai à côté de lui à toute vitesse. Je ne voulais pas qu'il me voit pleurer. Il dut comprendre car il me laissa seule.

Ça me rend triste de penser que la dernière fois que j'ai vu le visage de mon ange, il était avili par cette expression d'avidité qui ne le quittait plus et par les traces de nourritures qui maculaient son visage.
J'aurais aimé qu'il ait retrouvé au moins un semblant de raison pour me dire adieu.

***

Je continue à ranger la chambre d'Axel mais le cœur n'y est plus. J'ai peur quand j'y entre. Quelle autre surprise vais-je trouver ? Quel sombre côté des derniers moments de la vie de mon fils vont m'être révélé ? J'aimerais qu’Herbert soit ici. Mais c'est impossible. Il est encore retenu par son travail. Nous parlons tous les jours. Je lui parle de mon nettoyage de la chambre d'Axel et de ce que j'y découvre.

Quand il reviendra, j'aurais peut-être une nouvelle à lui annoncer. Est-ce que c'est une bonne nouvelle ou pas ? Je n'arrive pas à me décider.

*

Le lendemain, je me levais tôt. Je devais rejoindre monsieur Standford devant les locaux de l'entreprise vers 8h30.
Vers 8h, j'étais prête à partir. Quand vint le moment de dire au revoir à Herbert, je fis la chose la plus stupide qui soit : je l'embrassai sur la bouche. Herbert fut surpris et moi aussi à vrai dire. Ça avait été un geste spontané. Je n'avais pas prévu d'agir de la sorte. Ce moment fut à nous deux. Lucas se trouvait au près d'Axel et je lui avais déjà fait mes adieux la veille sachant bien que ça me serait trop pénible de monter au grenier.
Finalement, je m'écartai de mon voisin. Aucun mot ne fut plus échangé mais une étrange tension régnait entre nous.
En démarrant la voiture, j'aperçus son reflet dans le rétroviseur. Je sentis un sourire naître sur mon visage. « Je pourrais être heureuse s'il n'y avait pas cette histoire avec Axel et ce voyage », pensai-je. Et aussitôt, mon sourire disparut.
Je lui fis signe. Il me répondit.

*

En arrivant, monsieur mains moites m'attendait déjà. Il essaya de me persuader de prendre la place dans sa voiture mais à force de persuasion, je parvins à le convaincre que j'étais capable de conduire sans aide. Il parut déçu. Je m'en réjouissais secrètement.
Le voyage devait durer quatre heures mais à vrai dire, je ne me souviens pas de tout comme la plupart des événements de ce week-end là. La plupart du temps, j'étais absente. Mes pensées étaient tournées vers la maison et ce qui pouvait bien s'y passer. Mes mains étaient enclenchées en automatiques et c'est inconsciemment que je conduisais.
Le seul moment du voyage que je me rappelle parfaitement, ce fut lors de l'arrêt que nous fîmes à mi-chemin sur une aire de repos. Deux heures étaient passées depuis que nous avions commencé notre voyage.
Je voulais en profiter pour appeler la maison mais je me rendis compte que j'avais oublié mon téléphone portable là-bas. Je dus me rabattre sur un téléphone à pièce d'un restoroute qui se trouvait là.
Ce fut Lucas qui me répondit. Ça faisait une heure qu'il devait avoir fini son tour de garde. Il m'assura que tout allait bien.
- C'est bizarre, ajouta-t-il. Ton fils n'arrêtait pas de faire des renvois.
- Des renvois ?demandai-je incrédule.
- Oui, tu sais, ces gaz qui remontent par la bouche.
- Je sais encore ce qu'est un renvoi, merci.
Ça me paraissait bizarre. Jusque là, les seuls bruits qu'il émettait c'étaient les gargouillis de son ventre.
- Est-ce qu'il serait possible qu'il vomisse tout ce qu'il a ingurgité jusqu'à présent ? demanda Lucas.
- Ça m'étonnerait qu'il ait tout gardé dans l'estomac, répondis-je.
- Oui, mais alors où va toute cette nourriture ? Pas dans la merde en tout cas. Depuis des jours qu'on le retient pour l'empêcher de faire des bêtises, je n'ai pas encore une seule fois dû lui frotter le cul. Désolé, fit-il précipitamment. Et Herbert m'a assuré qu'il ne l'avait pas fait non plus.
Ça me surprit. Moi-même, je n'avais pas dû le faire. Je méditais un peu sur ce fait étrange. Si Axel n'avait produit aucune déjection, ça voulait dire qu'il assimilait tout. Le bon comme le mauvais. Qu'est-ce que ça pouvait bien vouloir dire ?
Je fis dévier la conversation sur autre chose. C'est ainsi que j'appris que Lucas s'était fait un hamburger pour midi et qu'il avait bien mangé. Il m'apprit qu'il allait faire une sieste ensuite. Je lui expliquais aussi la situation avec mon téléphone portable. Il parut comprendre.
Finalement, je raccrochais.

*

Le reste du trajet jusqu'au moment ou nous arrivâmes à notre hôtel reste flou dans ma mémoire et ne comporte aucun fait susceptible d'être relaté. A la réception, j'appris avec satisfaction qu'on avait réservé deux chambres séparées. A mon avis, quelqu'un d'autre dans la boîte avait dû passer la réservation et monsieur mains moites n'avait pas eu gain de cause. En tout cas, son expression montrait qu'il aurait préféré une seule chambre avec un lit double.
Arrivée dans celle qui m'étais destinée, j'eus la satisfaction de voir qu'il y avait un vieux poste de téléphone. Je ne serais pas obligée d'aller à la réception pour passer un coup de fil. Je me maudissais d'avoir oublié mon téléphone portable.
L’hôtel n'avait par contre pas poussé la courtoisie jusqu'à placer un répondeur personnel sur le téléphone. Si jamais on devait me laisser un message, c'est dans le hall que devrais aller le rechercher.
J'avais prévu d'appeler à chaque relève mais je ne pus attendre encore une heure. Je téléphonais donc une fois installée et ma valise montée dans la chambre.
Encore une fois, ce fut Lucas qui me répondit. Le contraire m'aurait étonné.
Il avait une petite voix. J'avais dû le réveiller de son somme bien mérité. Pourtant, il ne se plaignit pas.
Je lui demandais d'aller voir au grenier pour voir si tout allait bien. Ce qu'il fit.
Les deux minutes qui durèrent jusqu'à son retour me parurent très longues. Je m'imaginais déjà Axel en train de mourir ou alors ayant réussi à se libérer de ses liens quand Lucas reprit le combiné.
- Tout va bien. Il n'y a aucun changement, fit-il.
Je poussais un soupir de soulagement. Lucas m'aurait prévenu au moindre changement. Du moins, était-ce ce que je croyais à cet instant-là mais avec le recul je me demande s'il n'aurait pas pu me cacher volontairement quelque chose pour ne pas m'inquiéter.

*

Après-midi, j'allais au rendez-vous pour lequel nous avions dû sacrifier un week-end de notre temps libre. La plupart du temps, j'étais absente, l'esprit ailleurs. Mon esprit ne pouvait s'empêcher de revenir chez moi. Pour m'empêcher de me précipiter sur le téléphone, je m'évoquais sans cesse la dernière conversation avec Lucas. Je ne me rappelle rien de bien particulier de la réunion à laquelle j'assistais ce jour-là si ce n'est une chose : elle parutdurer une éternité. Et la présence de monsieur mains moites à mes côtés n'arrangeait pas les choses.

Quand, enfin, elle fut terminée, le soir commençait à tomber. Je fus heureuse de voir l'hôtel après cette réunion ennuyeuse. Je ne saurais même pas dire quel était le but de la transaction.
Le problème, c'était que monsieur Standford me collait comme une sangsue. Il m'incitait à venir boire un verre avec lui, ce que, bien sûr, je ne désirais pas.
J'avais beau essayer de refuser poliment, il insistait encore et encore me mettant dans une position délicate. Je me sentais encerclée, dos au mur, ne sachant plus quoi faire pour décliner l'offre de manière polie.
Ce fut la réceptionniste, une jeune fille aux cheveux long, noirs et portant de petites lunettes rondes, qui me sauva de cette situation gênante.
- Madame, m'appela-t-elle. Une personne a essayé d'appeler dans votre chambre. Comme vous ne répondiez pas, l'appel a été détourné dans le hall. Il vous a laissé un message.
- Ah ? Quoi ? demandai-je.
La réceptionniste fouilla un moment son bureau devant elle. Elle agrippa un feuillet qu'elle lut.
- Il vous demande de le rappeler rapidement. C'est au sujet de votre fils... Il a ajouté que vous comprendriez.
J'acquiesçai en silence.Qu'avait-il bien pu se passer ?
Monsieur mains moites était resté discret à mes côtés. A son air, je compris qu'il aurait bien voulu étrangler la réceptionniste.
Celle-ci ajouta :
- J'espère que tout ira bien. Quand votre mari a appelé, j'ai cru entendre des cris. J'ai même failli appeler la police.
Elle me lança un regard alarmé.
- Ne vous inquiétez pas. C'est juste mon fils. Il crie souvent quand on lui refuse de lui donner des bonbons, mentis-je pour la rassurer.
Le visage de la réceptionniste se décontracta.
J'étais inquiète. Si inquiète que je n'avais pas eu pas la présence d'esprit de la corriger quand elle avait dit que mon mari m'avait appelé. Je me précipitai le plus tôt possible en courant en direction de ma chambre.
Monsieur Standford essaya de me suivre à travers le hall mais étant donné son physique de baleine, il se retrouva très vite suant et haletant loin derrière moi.
- Attendez, cria-t-il. Venez prendre un verre avec moi ? Vous occuperez de la crise de colère de votre fils plus tard.
Je ne pris même pas la peine de répondre.

*

Arrivée dans ma chambre, je me précipitai sur le téléphone et composaile numéro de la maison. J'allais trop vite. Je dû m'y reprendre à plusieurs fois avant de composer le bon numéro.
Pendant que j'attendais qu'on décroche, mon cœur battait la chamade en résonance du bip du téléphone.
- Christelle, te voilà enfin, me répondit Herbert d'emblée de jeu.
A son ton, je compris qu'il avait attendu anxieusement mon coup de fil.
- Que se passe-t-il ? demandai-je.
- Nous avons un problème avec Axel, déclara-t-il rapidement. Il s'est recouvert d'un cocon.
Pendant un moment, je crus avoir mal compris. Est-ce qu'il avait dit... un cocon ?
- Un cocon ? répétai-je ahurie.
- Je dois te paraître dingue, n'est-ce pas ?
Je crus en effet déceler une pointe de folie dans sa voix. Il était en train de frôler l'hystérie.
- Mon dieu, si je ne l'avais pas vu de mes propres yeux, je ne croirais pas non plus à un tel truc. Je ne sais pas ce que c'est réellement ce foutu truc mais ça ressemble à un cocon.
- Calme-toi, l'enjoignis-je. Raconte-moi tout depuis le début.
Un soupir retentit à l'autre bout du fil.
- Je vais essayer.
Silence. Herbert ne parlait plus. M'avait-il oubliée ? J'espérais que non car j'étais toujours accrochée à ce bon dieu de téléphone avec une frousse de tous les diables.
Finalement, il commença :
- J'avais fini mon tour de garde et j'avais décidé de me reposer. J'avais réussis à m'endormir et j'étais en train de rêver quand j'entendis des cris. Je me réveillai en sursaut. Ça venait d'en haut. Je reconnus tout de suite la voix de Lucas. Je ne comprenais pas ce qu'il disait mais je saisis que c'était urgent.
Herbert inspira.
- Arrivé au premier étage, je commençais à comprendre ce qu'il racontait. Et sais-tu ce qu'il disait ?
- Non, répondis-je d'un souffle.
- Il disait : « Herbert, viens m'aider. Herbert viens vite. » Quand j'ai compris ses paroles, mon sang s'est glacé dans mes veines. Le pire, c'est que j'entendais parfaitement l'intonation de peur dans la voix de Lucas. Et pourtant, ce n'est pas quelqu'un de facilement impressionnable.
Herbert s'arrêta un moment avant de continuer.
- J'ai couru à toute vitesse dans les escaliers du grenier. Quand je suis arrivé en haut, le spectacle qui s'offrait à mes yeux m'a cloué sur place.
Je tendis l'oreille. J'allais enfin savoir ce qui s'était passé.
- Il y avait Lucas et Axel dans la pièce. Lucas se tenait non loin de ton fils, horrifié. Il n'osait pas le toucher. Je ne comprenais pas ce qui s'était passé quand j'ai entendu un bruit...

*

Herbert déglutit.
- Excuse-moi...Axel était en train de vomir. Ce n'était pas la première fois. Il avait du vomi sur ses vêtements. En même temps, ce vomi n'avait rien de naturel. Il était d'un vert clair et au lieu d'être liquide, il était plutôt gélatineux. Normalement, avec tout ce qu'il avait vomi, il aurait dû y avoir une flaque à pieds mais là non. Chaque morceau restait accroché contre lui.
- Arrête, suppliai-je. Je ne veux plus entendre. Je ne veux plus entendre.
Mais Herbert fit mine de rien et continua son histoire. J'aurais pu raccrocher le téléphone pour échapper à la torture que me procurait ce récit mais j'en fus incapable.
- En m'entendant arriver, Lucas s'était tourné vers moi. « Je ne comprend pas », fit-il. « Il s'est mit à vomir tout d'un coup ». Au tremblement de sa voix, je compris qu'il n'en menait pas large.
Herbert continuait à parler. Je sus qu'il avait oublié que j'étais au téléphone avec lui. Il était plongé dans ses souvenirs.
- Et pendant ce temps, Axel n'arrêtait pas de vomir. Tout ce que son estomac rejetait continuait à s'agglomérer sur lui. Ses jambes étaient déjà complètement ensevelies par la substance verte. « Il ne faut pas que cette chose le recouvre entièrement », déclarais-je. Aussitôt, je me précipitais vers Axel et commençais à arracher des bouts de cette immonde gélatine verte qui lui recouvrait les jambes. Lucas se joignit à moi avec quelques secondes de retard. Il retirait des morceaux qui s'étaient collés contre la poitrine de ton fils.
Le silence s'abattit dans le combiné. Je n'osais parler de peur de rompre le charme. Je ne croyais pas à ce que disait Herbert. Je ne pouvais pas croire à une histoire aussi farfelue. Une chose pareille ne pouvait pas être vraie. Pourtant, j'étais comme entraînée par ce récit digne des plus grands conteurs.

*

- Pas pour longtemps, hélas. J'avais déjà arraché quelques morceaux quand j'entendis Axel vomir à nouveau. Le bruit dégoûtant qu'il fit fut tout de suite suivitpar un grand cri de souffrance. Surpris, je me relevai d'un bond. Lucas s'était écarté, les mains éloignées de son corps, paumes vers le haut. C'était lui qui avait crié et avec raison : ses paumes étaient rouges vives. « Mes mains. Ce truc me brûle » criait-il.
Herbert fit une petite pause avant de continuer.
- Il me fallut un moment pour comprendre qu'il avait reçu du vomi frais sur les mains et que c'était ça qui était en train de le brûler comme un acide. Je n'ai pas hésité une seule seconde, j'ai emmené Lucas en bas et...
-Quoi ? l'interrompis-je. Tu as laissé Axel tout seul alors que tu savais qu'il pouvait se faire du mal ?
« Pourquoi tu t'énerves », pensai-je. « Son histoire est fausse du début à la fin ».
« Aussi fausse que l'histoire d'un adolescent qui ne mangeait pas beaucoup et qui se met à bouffer tout ce qu'il trouve pour se rassasier. Même de la merde trouvé sur le sol », résonna une voix sarcastique dans ma tête.
Je me mentais bien sûr. Je savais qu'il disait la vérité mais je n'avais pas envie de l'entendre. C'était impossible que ça arrive. Impossible. Même après ce qu'Axel m'avait montré.
- Je n'ai pas eu le choix, je te signale. Les mains de Lucas étaient en train de brûler et il ne pouvait pas descendre seul.
- Merde, tu te rends compte que tu l'as laissé tout seul alors qu'il avait besoin de ton aide.
- Oh, non c'est trop facile de me jeter la pierre. Tout ça ne serait jamais arrivé si tu m'avais écouté et si tu l'avais fait enfermer comme...
- Vas te faire foutre. Tu m'entends. Vas te faire foutre, criai-je hors de moi.
Et je raccrochai violemment. J'avais envie de valser le téléphone à terre mais au lieu de ça, je donnais plusieurs de poing sur le lit puis je plongeai mon visage contre mon oreiller. Je hurlais de toutes mes forces. Le coussin étouffa mon cri. J'avais envie de pleurer mais je retenais mes larmes.

*

Pendant dix minutes, je restais comme ça, immobile. Jusqu'au moment où l'on frappa à ma porte.
- Christelle ? Allez-vous bien ? retentit la voix de monsieur Standford.
Je soupirai silencieusement. C'était vrai. J'avais oublié qu'il m'avait invité à prendre un verre avec lui. Je n'avais pas trop envie d'y aller mais je me serais sûrement senti le devoir de l'accompagner si je n'avais pas été en colère. A la place, je décidai de ne pas y aller et de jouer à celle qui dort.
- Christelle ? répéta monsieur mains moites.
Mais je restais silencieuse.
Il tourna alors la clenche mais la porte refusa de s'ouvrir. Je l'avais heureusement fermée à clé derrière moi quand j'étais entrée dans ma chambre.
De dépit, il s'en alla enfin. Encore aujourd'hui, je suis soulagée qu'il n'ait pas pu entrer. Je ne sais pas du tout ce qui se serait passé s'il avait réussi à m'atteindre ce soir-là.

J'avais prévu de rester allongée dans mon lit et de m'endormir mais je constatais bien vite que j'en étais incapable. Ma colère s'était envolée et je m'en voulais d'avoir réagi si violemment. J'étais désolée et je craignais qu’Herbert m'en veuille de lui avoir dit toutes ses choses. Et puis une question me taraudait l'esprit et me tourmentait sans cesse. Que s'était-il passé ensuite ? J'avais quitté Herbert en plein milieu de son histoire et je voulais entendre la suite. Au fond de moi, je croyais en son histoire. J'aurais aimé ne pas y croire. J'aurais bien voulu que la situation n'ait pas empiré. Mais plus haut que tout, j'espérais que Herbert ait affabulé et que toute cette histoire et ce qui l'a précédé n'ait été qu'un mauvais rêve.
Finalement, mon désir de faire mes excuses à mon voisin et ma curiosité furent plus forts que le reste de colère qui devait encore me rester. Je décidais de rappeler la maison.
Ce fut Lucas qui décrocha.
-Oui ? fit-il.
- Lucas, c'est moi, déclarai-je. Est-ce que tu pourrais me passer Herbert.
- Attends.
A ma grande honte, je ne pensais pas du tout que si l'histoire de mon amoureux était vraie, il devait souffrir atrocement rien qu'à prendre le combiné entre ses mains.
Je trépignais donc, accrochée au téléphone. Est-ce que Herbert accepterait de me parler à nouveau ? Ne risquait-il pas d'avoir gardé quelques rancunes à mon encontre ? Je m'en voulais vraiment. Je n'avais pas voulu me mettre en colère contre lui.

*

Enfin, on reprit le téléphone de l'autre côté.
- Christelle !
Ce fut la voix d’Herbert qui résonna à mon oreille.
- Excuse-moi, fit-il. Je n'aurais pas dû te parler comme je l'ai fait.
- Non, l'interrompis-je, c'est à moi de m'excuser. C'est moi qui me suis comportée comme une idiote.
- Oublions ça.
La tension qui existait entre nous subsistait toujours mais au moins s'était-elle amollie. Quand nous reprîmes notre conversation, c'était à pas prudent tels deux funambules terrifiés de tomber dans le vide.
- Est-ce que c'est vraiment vrai ?demandai-je.
Herbert comprit de quoi je voulais parler. Il soupira.
- Malheureusement oui. J'aurais aimé avoir inventé cette histoire mais ce n'est pas le cas.
- Que s'est-il passé ensuite ?
- Oh ! Il n'y a plus grand chose à dire. Nous sommes descendus, Lucas et moi, au premier étage. Je l'ai amené vers la salle de bain. J'ai ouvert la porte et j'ai ouvert le robinet pour qu'il puisse se rincer les mains. Je suis descendu ensuite et j'ai essayé de t'appeler. Mais la ligne sonna dans le vide. Je suis finalement tombé sur la réceptionniste de l'hôtel. Pendant que je lui parlais, j'ai entendu les cris de Lucas depuis la salle de bain. Il devait souffrir atrocement. Ça n'a pas duré longtemps, juste quelques secondes mais crois que la jeune fille à l'autre bout du fil les a entendus aussi.
Je repensais à ce qu'elle m'avait dit quand j'étais rentrée dans le hall. En effet, elle avait entendu.
- Et les voisins ?, interrogeai-je. Ont-ils aussi entendus ?
- Personne n'ait venu se plaindre, déclara Herbert.
Le silence retomba de nouveau mais il fut vite rompu.
- Voilà, c'est presque tout ce que j'avais à te dire. Après avoir pansé les mains de Lucas, je suis retourné au grenier. Ce que j'y ai vu m'a sidéré. A l'endroit où devait se trouver ton fils, il n'y avait que cet espèce de cocon formé à partir de vomi séché. Quelques endroits étaient encore humides mais la plupart du truc était sec. Son vert plutôt clair avait mué en un noir verdâtre. La paroi en est très résistante. J'ai tapé dessus du poing sans que ça donne quoi que ce soit. Je suis allé chercher un couteau pointu dans la cuisine et j'ai essayé d'entamer le blindage de vomi mais sans résultat. Je n'ai même pas pu égratigner le cocon.
Herbert soupira.
- Il faut que tu reviennes, déclara-t-il.
Je fis alors la chose que je regrette le plus aujourd'hui. Je décidai fuir mes responsabilités.
-Je...j'ai besoin de rester ici. J'ai besoin de réfléchir. Je suis sûr qu'à mon retour, tout sera revenu à la normale.
Herbert émis un bruit sceptique mais il ne dit rien. Il me souhaita une bonne nuit et raccrocha.
Je me couchai sur le lit. Je me sentais coupable de les avoir abandonné. Il y avait de quoi. Ce fut la décision que j'avais prise lors de cette conversation qui scella le sort de Lucas.

Il est tard, je vais arrêter là.
J'ai passé pratiquement toute la journée à écrire.

***

La chambre d'Axel est presque finie. Comme je m'y attendais, j'ai encore trouvé des cadavres de petits animaux disséminé un peu partout. J'ai retrouvé aussi la petite casserole de sauce qu'Axel avait dérobée devant nos yeux. Seules quelques petites taches sont les témoins de ce qu'elle avait contenu. Le reste a sûrement dû atterrir dans le ventre de mon fils.
J'ai trouvé aussi une petite figurine qui m'intrigue. Elle représente une petite fée en robe rose. Je ne me souviens pas d'avoir achetéça et ce n'était pas le genre de mon fils quand il était plus petit. Alors, à qui appartenait cette petite fée ? A quelle victime ? J'ai peur de connaître la réponse. Et si Axel l'avait trouvée quand il était en « chasse » ?
Ah, ce que j'aimerais que cette petite fée puisse parler. Quelle peut être son histoire ? Elle la gardera pour toujours dans son silence d'objet.
Je l'ai gardée. Elle me plaît malgré tout. Je l'ai installée sur ma table de nuit, près de mon réveil.

*

Je continue.

Le lendemain, je me réveillai d'humeur sombre. J'avais eu du mal à m'endormir cette nuit-là et mes rêves avaient été agités. Aussitôt levée, je décidai de téléphoner à la maison. Ce fut Lucas qui me répondit. Cette fois, je n'oubliais pas de lui demander comment allaient ses mains. Il me dit qu'il avait encore mal. Il m'apprit aussi qu'ils avaient repris leurs tours de garde.
- Je n'aime pas ça, ajouta-t-il. Je ne sais pas ce qui se passe à l'intérieur de ce cocon mais ce qui va en sortir sera quelque chose de mauvais.
Une chape de culpabilité s'abattit sur moi. J'aurais dû être avec eux. Quelque chose de terrible allait se passer. Je le sentais.
J'avais malheureusement raison. Jamais je n'ai autant regretté de ne pas avoir suivi mon intuition. J'en porte le poids encore aujourd'hui.
Je m'entêtais à rester à l'hôtel malgré les paroles pressantes de Lucas. Je raccrochai d'ailleurs bien vite.

*

Je pris le petit-déjeuner dans le restaurant de l'hôtel. Je fis à peine attention à ce que je faisais. Les événements qui se déroulaient chez moi repassaient en boucle dans ma tête. Et pour ne rien arranger, monsieur mains moites me rejoignis bien vite.
Le matin, il me fit visiter la ville, se collant tout contre moi comme une sangsue. Bizarrement, ses mains n'allèrent pas se poser contre mes fesses. C'était déjà ça même si j'aurais bien voulu qu'il me lâche un peu.
Je ne pouvais pas me concentrer sur la promenade. Mon esprit n'arrêtait pas de se tourner vers la maison. Le pressentiment d'une catastrophe imminente ne m'avait pas quitté depuis que je m'étais réveillée. Il ne me quitta pas de la matinée.
Quand je revins à l'hôtel sur l'heure de midi, je l'avais encore. Je fus heureuse de me séparer de monsieur mains moites pour aller téléphoner à la maison.
Arrivée dans ma chambre, je me précipitai sur le téléphone. Toute la matinée, j'avais attendue le retour à l'hôtel pour pouvoir passer un coup de fil.
J'eus Herbert au téléphone. La situation n'avait pas changée depuis ce matin. Axel se trouvait toujours protégé par son cocon. Aucun des deux hommes ne savait s'il vivait encore ou s'il était mort. Herbert ne me redemanda pas si je voulais rentrer mais sa question était là, invisible dans les paroles et le ton qu'il employait.

*

L'après-midi, monsieur Standford et moi, nous retournâmes régler cette affaire pour laquelle nous étions là.
Finalement, elle fut résolue sans mon aide ce qui ne m'étonna pas le moindre du monde vu que ce n'était pas pour cette raison-là que monsieur mains moites m'avait fait venir avec lui. D'ailleurs, heureusement qu'il n'eut pas réellement besoin de mon aide. Je n'aurais pas pu lui être d'un grand secours. J'étais distraite, repensant encore et toujours à ce qui se passait chez moi.
A un moment, pendant la pause, on me servit du café. N'ayant pas les idées à ce que je faisais, je renversais ma tasse par mégarde. Honteuse, je m'excusai.
Monsieur Standford en profita pour frotter lui même le café qui avait tâché mes vêtements malgré mes protestations. Je n'osais pas dire clairement à mon supérieur, devant ses partenaires d'affaires, que le fait qu'il me touche comme ça me rendait mal à l'aise. Pourtant, je ne pouvais pas nier que je ressentais du dégoût quand je le voyais. Je fus soulagée quand ce moment humiliant fut passé.

Après la réunion, nous rentrâmes à l'hôtel. Le soir était en train de tomber. Le soleil était bas sur l'horizon près à se coucher.
Dans le hall, monsieur mains moites se mit à se coller outrageusement à moi. Gênée, je n'osais rien dire. En passant devant la réception, je demandai s'il y avait des messages pour moi. La réceptionniste répondit que non. En nous voyant collés l'un contre l'autre, elle sourit. Ce sourire me fit frissonner. Cette jeune femme pensait que cet homme et moi étions...en couple ? A cette pensée, j'eus la nausée.

Nous remontâmes nous changer. Monsieur Standford m'avait invité à sortir avec lui ce soir-là. Je n'aimais pas ça mais je n'avais pas pu refuser. Il ne m'avait pas dit ou il m'emmenait. J'avais peur de ce qu'il pouvait me faire mais je n'arrivais pas à refuser de l'accompagner. Je me changeai rapidement. Au bout de cinq minutes, j'étais prête. Je ne me maquillai pas. Ça aurait fait le jeu de cet affreux bonhomme.
Je profitais que monsieur mains moites ne soit pas encore là pour téléphoner à la maison. J'attendis qu'on vienne décrocher. Le téléphone n'était pourtant pas occupé. J'entendais parfaitement le bip régulier du téléphone en attente.
Finalement, je raccrochai.

*

A ce moment-là, on frappa à la porte. J'ouvris. C'était monsieur mains moites bien sûr.
Je m'apprêtai à partir quand le téléphone de la chambre sonna. Je m'arrêtai. Ce ne pouvait qu'être Herbert ou Lucas qui me rappelaient.
Monsieur Standford semblait contrarié de ce petit contretemps. Il m'attrapa le bras et essaya de m'emmener dehors mais je me dégageai d'un coup sec et je me précipitai vers le téléphone.
- Allô, fis-je en décrochant.
- Christelle ? C'est affreux.
C'était la voix d’Herbert. Je ne l'avais jamais entendue comme ça. Il avait l'air paniqué.
- Cette chose l'a tué, continua-t-il.
J'allais lui dire de se calmer mais en entendant cette phrase, j'en fus incapable.
- Elle l'a tué. Elle a tué Lucas. C'était affreux.
Je me rendis compte qu'il pleurait. Jusque là, je n'avais que très rarement vu un homme pleurer. Je sus d'instinct qu’Herbert disait la vérité. Lucas était mort. J'en fus estomaqué. Mon amoureux continuait à sangloter dans le téléphone mais j'étais incapable de dire quoi que ce soit qui aurait pu le calmer.
Trois secondes passèrent comme ça quand je sentis qu'on m’arrachait le téléphone des mains. Monsieur Standford tenait le combiné entre ses gros doigts boudinés. Avant que je puisse réagir, il raccrocha d'un coup sec.
- Est-ce qu'on peut y aller maintenant ? demanda-t-il d'une voix irritée.
Je ne répondis pas. J'étais encore trop estomaquée par la nouvelle que je venais de recevoir et par le geste grossier que venait de faire cet individu méprisable.
Sans me demander mon avis, il m'entraîna hors de la chambre. Je me laissais faire comme une marionnette.

*

Il me conduisit jusqu'au hall sans que je réagisse. J'étais tout simplement déconnectée. On était presque sortis de l'hôtel quand il plaqua sa main moite contre mes fesses. Ce contact fut comme un choc électrique qui me ramena à la réalité. Ce fut aussi la goutte d'eau qui fit déborder le vase après ce qu'il venait de faire quelques minutes plus tôt.
Je m'arrêtais brusquement. Il me regarda surpris. En voyant son visage qui avait si souvent affiché un sourire narquois, le coup parti seul. La claque résonna dans tout le hall de l'hôtel.
Le silence se fit soudain autour de nous.
- Comment osez-vous me toucher les fesses ? m'écriai-je.
Les gens qui entraient et sortaient de l'établissement s'étaient arrêtés et nous regardaient, l’œil avide.
- Mais...je..., essaya-t-il de protester.
Je ne lui en laissais pas le temps. Je le coupai en pleine phrase.
- Je ne vous permets pas de me toucher.
Je compris à son attitude que c'était la première fois qu'une « proie » lui résistait.
- Et je vous préviens, si vous me virez parce que je me suis refusée à vous, je porterais plainte contre agression sexuelle.
Je tremblaisde fureur. Je serrai les poings, prête à m'en servir.
- Ces gens en sont témoin, fis-je en montrant la salle.
En entendant ces paroles, une bonne part des curieux qui s'étaient arrêtés firent semblant de rien et continuèrent leurs routes. Je faillis en perdre tout mon courage mais à ce moment-là, je remarquai la réceptionniste. Elle me fit un geste d'approbation de la tête et de la main, pouce vers le haut. Et elle n'était pas la seule. D'autres femmes avaient retenues leurs maris et m'encourageaient à grands cris.
Monsieur Standford avait vu aussi. Il s'était ratatiné encore plus. On aurait dit un horrible nain obèse prêt à se cacher dans les jupes de sa mère.
Je n'attendis pas une seconde de plus. Je sortis de l'hôtel et me dirigeai vers ma voiture que je démarrai en trombe.
Monsieur Mains Moites était resté sur place. Il n'avait esquissé aucun geste pour me retenir. Il l'aurait fait, ce n'aurait pas été une claque qu'il aurait reçu mais un coup de poing.

***

J'ai encore fait un cauchemar hier soir. Toujours le même.
Dans mon rêve, je suis dans le noir. Je suis en train de monter un escalier en courant. Je ne vois qu'une ou deux marches devant moi. L'escalier n'a pas de fin. J'ai beau le gravir quatre à quatre, il y a toujours plus de marches à se présenter sous mes pieds.
Je ne peux pas faire demi-tour. Quelque chose me poursuit. Ce qui est à mes trousses est rapide. Je ne peux pas ralentir l'allure sinon, elle me rattrapera. Mais j'ai beau faire, je cours lentement. Trop lentement. Comme si j'étais engluée dans de la colle. Mon cœur battait la chamade. Mon souffle était court dans ma poitrine. J'étais affolée.
Finalement, la chose me rattrape. Je ne la vois pas mais je la sens qui me pousse dans le dos. Je tombe mais au lieu d'atterrir sur l'escalier, il n'y a en dessous de moi qu'un grand vide.
Je finis par me réveiller dans mon lit, couverte de sueur.
Je pensais qu'au fur et à mesure que le temps passerait, le cauchemar finirait par s'estomper mais ce n'est pas le cas.
Je vais continuer l'histoire, pour exorciser ce qui reste de mon mauvais rêve.

Ma colère s'estompa bien vite, ne laissant plus que la peur. La peur eut tout le temps de me tourmenter pendant les longues heures que dura le voyage de retour.
Que s'était-il passé ? Lucas était-il vraiment mort ? Mais était-ce vraiment ce que Herbert avait dit au téléphone ou bien n'était-ce qu'un effet de mon imagination ? Et quelle était cette chose dont Herbert avait parlé ? Ces questions tournaient en boucle dans mon esprit.
Sur l'autoroute, je roulais plus vite que légalement prévu. Je voulais revenir le plus vite possible. Nous étions le dimanche soir et il y avait beaucoup moins de circulation qu'en semaine ou que les vendredis et samedis soir. Après deux heures de routes, j'aurais dû m'arrêter mais je décidais de continuer. En quatre heures, il pouvait s'en passer des choses.

*

Une heure du matin était déjà passé quand j'atteignis la ville. Les rues étaient silencieuses. Il n'y avait pas un chat. La plupart des gens devaient dormir en prévision du lendemain matin. Ceux qui ne dormaient pas, regardaient la télé ou faisaient l'amour chez eux, à l'abri des tentures fermées.
En tout cas, j'avais la rue pour moi toute seule.
Enfin, j'arrivai en vue de mon quartier, de ma rue, de ma maison.

J'arrêtai la voiture dans l'allée.
Je ne sortis pas tout de suite. Je restai d'abord à scruter la maison. Elle avait l'air paisible. Les lumières étaient éteintes, le silence régnait. S'était-il vraiment passé quelque chose d'affreux à l'intérieur ? Je commençai à en douter.
Finalement, je sortis du véhicule et me dirigeai vers la porte. Clé à la main, j'allais déverrouiller la porte quand une main me saisit le bras. Je sursautai et me retournai vivement.
C'était Herbert. Il était nerveux mais il n'avait pas l'air d'être pris d'hystérie. En même temps, en quatre heures il avait eu tout le temps de se ressaisir.
- N'entre pas, me conseilla-t-il tout bas. Allons chez moi.
Et il m'entraîna dans sa maison. Quelque chose dans son ton me poussa à lui faire confiance.
Il ferma la porte à double tour derrière nous puis il me conduisit dans son salon.
- Que s'est-il passé ? interrogeai-je une fois installé.
- Il a tué Lucas, répondit-il.
- Qui ? Axel ? Je pensais pourtant Lucas capable de se défendre.
- C'était ton fils et en même temps ce n'était plus lui. Quand il est sorti du cocon,il était différent. Je...Ce n'est pas facile...
Il se mit à tourner en rond.
- Ce que j'essaie de te dire, c'est que c'est quelque chose de différent qui est sorti du cocon. C'était une...créature.
- De quoi tu parles ? demandai-je incrédule. Tu te moques de moi ? C'est ça, vous vous foutez de moi. Je ne te trouve pas drôle.
Herbert tapa du poing sur la table basse.
- Est-ce que tu trouves que j'ai l'air de rigoler ?m'interrogea-t-il furieux.
Je scrutai son visage. Il avait une mine lugubre et pas le moindre sourire ne semblait vouloir s'esquisser sur son beau visage.
- Non, finis-je par avouer. Tu ne rigoles pas. Désolée. Je n'aurais pas dû doutée de toi.
Je restais silencieuse quelques secondes le temps que Herbert se calme.
- Est-ce que tu pourrais me donner à boire quelque chose de fort ?demandai-je finalement en le voyant plus calme.
- Désolé. Comme alcool je n'ai que de la bière.
- Va pour la bière, cédais-je.
Je n'allais pas faire la fine bouche.
Herbert partit pour la cuisine. J'attendais pendant ce temps-là, assise sur mon fauteuil. J'étais nerveuse. Je savais qu'on perdait du temps mais je ne pense pas que j'aurais pu continuer sans boire quelque chose qui me donnerait du courage au ventre.

*

Herbert revint au bout d'une minutes avec deux bières. Il en posa une sur la table basse devant moi tandis qu'il gardait l'autre en main.
Il ne se rassit pas tout de suite mais se dirigea vers la fenêtre. Il souleva le rideau et regarda. Je jetais moi aussi un coup d’œil. J'entrevis la maison.
- Que s'est-il passé ?demandai-je une nouvelle fois. Raconte-moi en détail.
Mon voisin soupira. Il se retira de la fenêtre et s'assit à côté de moi. Il avait l'air abattu. Il mit ses mains à son front et gémit une fois. Je compris qu'il se retenait de pleurer. Son souvenir était trop douloureux. D'un geste doux, je lui retirai les mains de devant son visage et lui caressait la joue.
- S'il te plaît, l'implorai-je.
Il inspira.
- Ok.
Mais il ne dit rien. Une minute de silence passa sans qu'il ait le courage de me raconter son histoire. Je voulais le presser mais je savais que ça ne servirait à rien.

Finalement, il se lança.
- Je...j'étais en train de dormir, commença-t-il, quand tout ça a commencé. Tout d'un coup, j'ai senti un coup violent qui a fait trembler toute la maison.
Il but une gorgée de sa bière. J'en fis de même. Je n'appréciais que modérément ce breuvage. Ce n'était pas pour le goût que j'en buvais mais pour le peu d'alcool qu'il y avait à l'intérieur. J'aurais aimé que cette boisson soit plus forte d'ailleurs.
- En me réveillant, je regardai l'heure. Je fus horrifiée de voir que j'aurais dû être en train de garder ton fils depuis une heure. Je m'en inquiétais encore quand des cris résonnèrent dans la maison. Ils venaient d'en haut, du grenier. Je reconnus la voix de Lucas. C'était la deuxième fois que je l'entendais crier en deux jours sauf que cette fois c'était pire. Ses cris étaient des cris de souffrances.
Il reprit une gorgée de bière.
- Il y avait un problème en haut. Je ne réfléchis pas plus et me mit à courir pour aider Lucas. Au dessus de moi, des cris et piétinements résonnaient au plafond. J'étais arrivé au premier étage quand j'entendis un craquement qui me fit froid dans le dos. Aussitôt, j'entendis hurler Lucas de douleur. J'accélérais encore l'allure. Je m'arrêtais en dessous de l'escalier dépliant. Mon ami avait dû le rabattre en montant. Rapidement, le cœur battant à tout va, je le descendais. J'entendis alors un bruit écœurant de mâchonnement et de déglutition.
Encore une fois, Herbert s'arrêta pour boire un peu de bière. Je trépignais d'impatience. Que s'était-il passé ensuite ?

*

N'y tenant plus, je demandai :
- Et après, que s'est-il passé ?
- Attends, j'y viens, me répondit-il en reposant son verre sur la table basse.
Il prit une grande inspiration. Je compris qu'il arrivait au moment qui lui faisait le plus mal.
- Quand je suis arrivé au grenier, je fus saisi par le spectacle qui se présentait à moi. Le cocon avait fini par éclater. Lucas se trouvait au sol comme une pauvre chose et il était en train de crier de souffrance. Je l'ai toujours connu comme un brave géant que rien ne faisait peur. Ça...ça m'a fait un choc de le voir dans cet état.
Herbert s'arrêta. Des sanglots étaient apparus dans sa voix et quand je le regardais, je vis des larmes dans ses yeux. Il prit son verre de bière pour se donner une contenance. Sa main tremblait tellement qu'il dut s'aider de l'autre pour porte le verre à sa bouche.
Je ressentis de la peine pour lui. Il venait de perdre son meilleur ami. Ce que je n'avais pas encore compris c'était que, moi aussi, j'avais perdu un être qui m'était cher. Mon fils était perdu définitivement et il n'y avait plus aucun retour possible.
Finalement, mon voisin se calma et quand il reprit son récit, ce fut d'une voix lente de peur de céder à nouveau aux larmes.
- Lucas se tenait l'épaule. Il me fallut un moment pour comprendre qu'il avait perdu son bras. J’eus envie de vomir en voyant ça. Mais un mouvement dans la pénombre attira alors mon attention. Je remarquai à ce moment-là un grand monstre qui se trouvait aussi dans la pièce.
Mon cœur manqua un battement.
- Un monstre ? interrogeai-je.
- Oui, un monstre, acquiesça Herbert. Je ne l'ai pas bien vu. C'était le soir et la lumière à l'intérieur du grenier était trop faible. Il avait la peau sombre qui se confondait à l'obscurité de l'ombre et il était immense. Il faisait deux fois la taille de Lucas en hauteur et il devait se courber pour tenir dans la pièce. Le bruit de mastication venait de la créature et je sus tout de suite ou était passé le bras manquant de Lucas.
Je lâchai un petit gémissement de dégoût et de terreur mélangé.
- Je compris que je devais faire quelque chose pour Lucas. Si je n'agissais pas rapidement, il suivrait le même chemin que son bras. Lui ne semblait plus conscient de ce qui l'entourait. Seule la douleur était présente pour lui. Je m'avançais prudemment, le regard fixé sur la créature, prêt à m'enfuir en cas d'attaque.
Herbert reprit un peu de bière. Il avait vidé au trois quart son verre.
- J'atteignis Lucas sans qu'il réagisse. Je me mis à le traîner sur le sol vers la sortie. J'avais à peine esquissé mon geste que la créature se mit à bouger. Le haut de son corps m’apparut alors à la faible lumière qui rentrait dans le grenier par la lucarne. Je remarquais que sa tête était plate. Et sa gueule était garnie de dents pointues qui dépassaient de sa bouche. Il avait aussi un peu de substance un peu verdâtre qui venait du cocon.
Mon cœur rata deux battements. Cette chose était mon fils. Je le sus à ce moment-là mais ce n'est que plus tard que je compris ce que ça impliquait.

*

- Je me suis mis à marcher très lentement à reculons pour ne pas effaroucher le monstre. Mon cœur battait à tout rompre et mes paumes étaient moites. Les cris de Lucas ne m'aidaient pas à agir calmement. J'en étais à la moitié du chemin quand la créature agit. Elle était rapide. En deux secondes, elle fut sur moi. Je sentis de longues griffes me lacérer les côtes...
Sur ces mots, il enleva son t-shirt. Sur son flanc, il y avait trois longs pansements. Il en enleva un et je remarquais alors une griffure pas trop profonde. Il avait un autre pansement au niveau de l'épaule.
- Elles me font encore mal, me dit-il en portant sa main sur ses trois pansements. Je les ai toutes désinfectées.
- Comment tu t'es fait celle-ci ?, demandai-je en lui montrant le pansement de l'épaule.
- La langue de cette créature était aussi longue que celle d'un caméléon sauf qu'elle était terminée par aiguillon. Ça me fit très mal. J'essayais de riposter mais sa peau était aussi dure que le cuir. D'un revers de son bras, il me balaya dans le mur de l'autre côté. Je fus sonné quelques secondes. Elles auraient pu m'être fatales si la créature s'était intéressée à moi. Mais ce ne fut pas le cas. Tandis que je reprenais conscience, les hurlements redoublèrent. Je remarquais alors dans la pénombre, la silhouette gigantesque de la créature se pencher sur Lucas. Il avait l'air minuscule en comparaison. Au bout de quelques secondes, j'entendis un grand crac et soudain, les cris s'arrêtèrent. La créature se releva tandis que le corps de Lucas s'affalait par terre. Je vis horrifié une flaque de sang se répandre sur le sol...
Herbert s'arrêta à nouveau. Je sus qu'il luttait pour garder son calme.
- Lucas était mort. Je vis à sa silhouette qu'il lui manquait la tête. Le monstre l'avait décapité d'un coup de dent. Je risquais ma vie en restant ici. Aussi, je décidais de marcher très lentement vers l'escalier. Je fus encouragé par le fait que la créature revint sur ses pas sans plus faire attention à moi. Quand elle repassa dans la lumière, je remarquais sur son dos une paire d'aile toute fripée. Le cœur battant, j'atteignis enfin le bas de l'escalier. Je le remettais vivement en place. A mon grand soulagement, la créature ne réagit pas. Affolé, j'ai quitté ta maison. J'étais en train de descendre l'escalier du premier quand le téléphone a sonné. Je me suis arrêté un moment saisi. Ce devait être toi qui étais en train de nous téléphoner.
D'un signe de tête, j'acquiesçai.
- Je ne pouvais pas te répondre. C'était trop dangereux. Je risquais de prendre trop de temps et la sonnerie du téléphone aurait pu attirer le monstre en bas. Je le laissais donc sonner et me précipitais à toute vitesse vers la sortie. Je rentrais rapidement chez moi et je décidais de te téléphoner.
Il me regarda dans les yeux.
- Je suis désolé. J'étais hystérique à ce moment-là, me dit-il.
- Tu n'as pas à être désolé, déclarai-je. J'aurais été dans le même état que toi si j'avais vécu la même chose.

*

Je regardai vers la fenêtre. Malgré le rideau fermé, je sentais l'impression de menace qui provenait de ma maison.
- Est-ce qu'il est toujours là ? questionnai-je.
Herbert acquiesça.
- Je l'ai enfermé dans le grenier. Quand je me suis calmé, je suis retourné chez toi.
Je poussai une exclamation de surprise et de peur mélangé.
- Tu es fou.
- Ne t'inquiète pas, je m'étais armé d'un hachoir à viande aiguisé en cas d'attaque. Je me devais de l'enfermer. Cette chose était dangereuse. Il n'était pas question que je la laisse s'échapper. J'ai scellé l'escalier du grenier en utilisant deux chaises que j'ai mise l'une sur l'autre et le manche d'un balais. Aussi incroyable que ça puisse paraître, ça a marché ?déclara Herbert.
Je le regardais avec deux yeux ronds.
- Est-ce que tu crois que ça va le retenir longtemps ?
- On verra bien, me répondit-il.
Le silence s'installa entre nous. Je réfléchissais à ce que je savais maintenant. Il fallait faire quelque chose.
- Il nous faut faire quelque chose, finis-je par dire. On ne peut pas laisser Axel dans la nature. As-tu quelque chose pour le neutraliser ?
- J'ai le hachoir et je crois que je dois avoir un sécateur qui traîne dans le coin. Pour le reste, je n'en sais rien.
Le hachoir ? Le sécateur ? Voulait-il tuer mon fils ?
Je le regardais et je vis son air peiné. C'était bien ce qu'il avait l'intention de faire. Et moi, allais-je le laisser faire ? Allais-je faire plus et l'encourager ? Je voulais juste l'emprisonner mais je dus reconnaître qu'en cas d'attaque, il nous faudrait nous défendre avec autre chose que des bonnes paroles.

Le quart d'heure qui suivit, nous préparâmes notre petite expédition. Nous rassemblâmes deux lampes de poche, le sécateur et le hachoir, un long couteau à pain, quelques couteaux de cuisines bien aiguisés et une corde dont j'espérais me servir pour ligoter Axel.Notre équipement était maigre et ne nous donnait pas beaucoup de chance de survie mais c'était tout ce que nous avions pu trouver de plus dangereux en si peu de temps. Si nous avions attendu plus longtemps, nous aurions sûrement pu nous procurer des armes plus redoutables mais le problème était que la créature aurait pu s'enfuir entre temps.
Herbert prit le sécateur et le couteau à pain tandis que je m'emparai du hachoir à viande. Quant aux couteaux, nous les partageâmes entre nous.
Enfin, nous fûmes prêts à partir.

***

Je reprends mon récit là où je l'avais laissé hier.

La nuit était calme. Il n'y avait pas un bruit, pas un chat dehors. Maintenant, tout le monde devait dormir comme des bienheureux.
Nous marchâmes très vite jusqu'au seuil de ma maison, prêts à agir si par malheur, la créature arrivait à en sortir.
J'arrivais à la porte sans encombre. Je l'ouvris. Elle n'était pas fermée à clé. Je lançais un regard de reproche à Herbert. Il haussa simplement les épaules comme signe d'excuse.
Une fois à l'intérieur, nous commençâmes à ralentir l'allure. Nous étions en territoire ennemi.
La maison était aussi silencieuse de l'intérieur que de l'extérieur. Tout avait l'air calme. Pourtant, il me semblait que l'atmosphère était plus lourde.
Je n'allumais pas les lumières. Herbert et moi, nous en avions convenu ainsi pour ne pas signaler notre position. Nous préférâmes utiliser nos lampes-torches.
Je traversais prudemment le hall, Herbert à ma suite. Je grimpais les escaliers sur la pointe des pieds. Malgré nos précautions, certaines marches craquèrent sous notre poids. J'avançais la première prête à jouer du hachoir si l'occasion se présentait tandis qu’Herbert assurait mes arrières.
Mon cœur battait la chamade mais je n'en tins pas compte. Je continuais à avancer avec un courage que j'étais loin de ressentir.

Quand j'arrivai sur le palier, je m'arrêtai, surprise.
- Putain ! jura Herbert dans mon dos.

*

Les deux chaises et le manche du balai se trouvaient par terre. L'escalier du grenier était baissé.
Je m'approchais prudemment. Je levais le faisceau de ma lampe vers le trou sombre dans le plafond. Il faisait trop sombre dans le grenier pour que je puisse voir quelque chose.
Courageusement, je montai les marches. Je m'accrochais au manche du hachoir comme si ma vie en dépendait ce qui était justement le cas à ce moment-là.
Le grenier était sombre. S'il y avait quelque chose qui rôdait à l'intérieur, je ne pouvais pas le voir.
Herbert se dépêcha de me rejoindre. Nous explorâmes les lieux de nos lampes mais nous ne trouvâmes pas trace d'une créature noire et immense.
J'éclairais des fragments d'un noir verdâtre de ce qui devait être le cocon. Je me baissai et j'en pris un morceau dans ma main. Il était rugueux sous ma paume. Je le tournais en tout sens. Il semblait dur comme de la roche pourtant, quelque chose avait réussi à le casser.
- Christelle, m'appela alors Herbert.
Je me retournai vers lui. Sa lampe était tournée vers le sol. Elle éclairait un squelette humain. Il n'y avait plus un gramme de chair sur ces os blancs. Beaucoup manquaient dans le tas. Je compris qu'à sa taille, ça devait être Lucas.
- Pauvre vieux, murmura Herbert. Tu ne méritais pas ce sort.
Il resta silencieux un moment. Je le regardais attentivement. Je vis la tristesse et la peur faire place à la colère dans son regard.
- Il faut empêcher cette abomination de sortir, fit-il. Où est-ce qu'elle a bien pu aller ?
- En cuisine peut-être, suggérai-je.
Aussitôt, Herbert descendit en courant les escaliers.
- Attends-moi, m'écriai-je en m'élançant à sa poursuite.
Et je descendis les escaliers à sa suite.

*

Herbert avait pris un peu d'avance. Il se trouvait déjà sur les premières marches de l'escalier que j'atteignais le palier du premier étage. Je fis un ou deux pas à sa suite quand tout d'un coup, la porte de ma chambre s'ouvrit violemment devant moi. Le monstre en sortit au pas de course. Je criai de terreur et m'arrêtai brusquement. J'avais la créature en plein dans le faisceau de ma lampe.
Elle était très grande et avait la peau sombre comme l'avait dit Herbert. Ses quatre pattes étaient longues et couvertes de grandes griffes. Elle avait un long cou qui se terminait par une tête plate munie de longues dents. Je ne vis pas d'yeux. Soit parce qu'elle n'en avait pas soit parce que leur couleur était aussi sombre que la couleur de sa peau.

Le monstre hésita un moment entre nous deux. Puis, sans hâte, sa tête se tourna dans ma direction et y resta fixée. Lentement, je fis un pas en arrière, puis

un autre et encore un autre. Je me retournai alors et me mis à courir. Je n'avais qu'une seule destination disponible : le grenier. Tandis que je montais, j'entendis les bruits de pas de la course de la créature derrière moi. Elle était plus rapide que moi. J'étais à la dernière marche quand elle me rattrapa.
Elle me jeta violemment sur le sol du grenier d'un coup de patte. Je faillis lâcher ma lampe dans ma chute mais par chance, je la retins en main. Je me relevai hâtivement mais il était déjà trop tard.
Sa langue s'élança sur moi à la vitesse d'un coup de fusil. Ce fut rapide. Je n'eus même pas le temps de réagir que son aiguillon avait pénétré mon épaule. La douleur fut intense. Je ne pus m'empêcher de crier tellement j'avais mal. Instinctivement, je jouais du hachoir. Sa langue se retira aussi vivement qu'elle était venu. Je crois que je réussis à lui faire une légère entaille au bras mais je n'en suis pas sûre.
Vivement, la créature s'enfuit dans l'ombre.
Le silence revint. Je tendais l'oreille pour la repérer mais elle était incroyablement silencieuse. Je cherchais la créature partout ou elle pouvait se trouver, de ma lampe de poche. Je ne la vis pas.

*

Ce fut à ce moment-là qu’Herbert entra dans le grenier.
- Où est... ? commença-t-il avant de s'arrêter.
Il avait braqué sa lampe sur moi. Je l'éclairais aussi et je remarquais qu'il avait l'air horrifié. Il pointait son doigt dans ma direction. Une sueur froide me coula dans le dos.
Lentement, je me retournais prête à défendre ma peau. Je me retrouvais nez à nez avec la tête de la créature. Surprise, je me reculaivivement.
Le monstre s'était accroché au plafond à l'aide de ses pattes griffues. Il se laissa retomber sur moi et me plaqua au sol.
J'en eus le souffle coupé. Dans le mouvement, le hachoir glissa de l'autre côté de la pièce. Si j'avais eu encore de l'air dans les poumons, j'aurais crié de terreur. Je me voyais morte sous les mâchoires puissantes de cette bête quand celle-ci se détourna brusquement de moi me laissant libre.
Ce fut Herbert qui me sauva la vie. Avec le sécateur, il s'était attaqué à l'une des pattes de la créature. Malheureusement, je remarquais qu'il était désormais désarmé. Le sécateur était resté coincé dans la cuisse du monstre. Ce dernier l'enleva et le lâcha sur le sol. Il se dirigea d'un pas claudiquant et un peu moins rapide vers son agresseur. Herbert compris qu'il n'avait pas intérêt à rester là. Il s'enfuit par les escaliers, le monstre à sa suite.

Je restais paralysée quelques secondes avant de me ressaisir. Je ramassai rapidement le sécateur et descendis aussi. Herbert et le monstre étaient déjà au rez-de-chaussée. Je courus à leur poursuite. Dans l'escalier du premier étage, j'entendis que la lutte continuait dans le salon. Je me précipitais là-bas.

*

En arrivant, je remarquais qu’Herbert avait sorti le couteau à pain et qu'il essayait de tenir la créature en respect. La créature me tournait le dos. L'effet de surprise jouait en ma faveur. A la lumière de ma lampe de poche, je remarquai alors deux grandes ailes à moitié fripée que je n'avais pas encore observées auparavant.
Je couruset grimpai sur le dos du monstre en m'aidant de ses ailes. Ce ne fut pas facile. J'avais le sécateur d'une main et quand elle me sentit, la créature commença à se débattre. Je continuais mon ascension tant bien que mal. Une main agrippée sur l'une des ailes, j'ouvris le sécateur du mieux que je pus autour de son cou. Tenant l'un des manches de la main, l'autre contre mon flanc, je refermais d'un coup sec.
La créature avait la peau solide. Toute autre bestiole aurait eu le cou tranché net mais pas elle. Elle émit un cri de souffrance qui me vrilla les tympans et ses gestes devinrent erratiques. Je faillis lâcher le sécateur. Elle essaya de m'attraper avec ses mains mais Herbert l'en empêchait en le harcelant avec son couteau.
Tant bien que mal, je rouvris le sécateur et le refermai à nouveau sur le cou de la créature. Une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, cinq fois. A chaque coup, la créature devenait de plus en plus frénétique. Elle dérivait dans la pièce en essayant de temps en temps de m'aplatir contre un mur mais ses ailes l'en empêchait.
Finalement, au bout de la sixième fois, la tête roula lourdement sur le sol. La créature esquissa encore quelques pas de danse avant de tomber lourdement. Je la lâchai au moment oùelle s'écroulait et retombais sur mes jambes.
La créature était enfin morte.

*

Nous restâmes hébétés, sur nos gardes. Je crois que ni Herbert ni moi n'avons cru à cet instant-là que la bête était morte.
J'ahanais en recherchant mon souffle. Herbert faisait pareil. Je sentais la sueur me couler sur le front. D'un geste de la main, je l'épongeai.
Ce fut Herbert, le premier, qui se ressaisit.
- Elle est morte, constata-t-il.
Je m'approchais aussi, avec prudence. La créature gisait par terre, inerte. Un sang rouge sombre coulait de son cou tranché. Le sang se répandit sur le tapis du salon. Je dus me résoudre à le brûler quelques jours plus tard.
- Qu'est-ce qu'on va faire ?demandai-je. On ne peut pas le laisser dans mon salon.
-Il va nous falloir nous en débarrasser, me répondit Herbert. Je connais un petit bois ou on pourra enterrer cette chose...Oups, désolé.
Je ne relevais même pas la phrase, j'étais trop exténué pour ça et on avait encore du travail en perspective.

Nous prîmes chacun un bout de la créature. J'avais pris les jambes tandis qu’Herbert tenait les bras. Un peu de sang coula sur son pull mais il s'en moqua.
Herbert me mena jusqu'à sa voiture. J'aurais voulu mettre le corps dans la mienne mais Herbert avait été intransigeant. Il me laissa un moment seule avec le cadavre de la créature pour aller chercher un vieux tapis élimé chez lui qui protégerait la banquette arrière des tâches de sang.
Je me sentis mal à l'aise avec cette chose sous les bras. J'avais peur que tout d'un coup, elle ne se réveille malgré l'absence de tête et commence à m'attaquer. Je me tenais aussi loin de ce corps sans vie que possible.

*

Enfin, Herbert revint avec son vieux tapis. Il était beige clair et n'était vraiment pas en bon état. Heureusement, il ferait parfaitement l'affaire pour ce qu'on voulait en faire.
Herbert ouvrit le coffre de son monospace puis il enleva les sièges qu'il ramena chez lui. Pendant qu'il faisait ça, je pris le tapis et l'étalai sur le sol de la voiture. Quand tout fut prêt, nous soulevâmes le lourd corps du monstre et nous le glissâmes à l'intérieur par le coffre.
Une fois cela fait, Herbert me lança :
- Occupes-toi de la tête, je vais aller chercher ce qui reste...de Lucas.
- Tu ne vas quand même pas l'enterrer aussi ?, interrogeai-je incrédule.
- Que veux-tu que je fasse ? me demanda-t-il. Je ne peux tout simplement pas aller à la police et leur expliquer la circonstance de sa mort. Au mieux, ils me riraient au nez, au pire, ils me soupçonneraient de meurtre.
Sur le coups, j'acceptais donc son plan et allais chercher la tête pendant qu'il montait les escaliers. En y repensant, peut-être qu'on aurait pu appeler la police. Après tout, nous avions le cadavre d'Axel comme preuve. Mais c'est vrai que je n'aurais pas aimé qu'on me le retire des mains pour aller l'étudier dans je ne sais quel laboratoire scientifique.
Je ramenais très vite la tête avec le reste de son corps puis je retournais vite fait aider Herbert dans sa tâche. Je le rencontrai dans les escaliers. Il portait dans les bras, un paquet d'ossements divers.
- Désolé, déclara-t-il. Je n'ai pas pu faire mieux.
Et il continua sa descente.
Arrivée au grenier, je remarquais que la moitié du squelette était encore là. Je ramassais autant de morceau que je pus.
Il fallut encore un passage à Herbert pour ramener le reste. Il prit aussi une paire de pelles qu'il allongea à côté des cadavres.

*

Enfin, nous démarrâmes. C'était Herbert qui conduisait. Je me sentais mal à l'aise avec le chargement macabre que nous portions. Je n'avais qu'une envie : m'en débarrasser.
Herbert nous conduisit en pleine campagne jusqu'à un petit bois. Il arrêta la voiture à l'orée des arbres.
Il n'y avait pas un chat à l'horizon. Le bois était silencieux et seul le chant lointain d'un hibou résonnait dans l'air.
Nous sortîmes tout d'abord le corps de la créature avant de rassembler les os et la tête du monstre sur la couverture dont on rejoignit les coins pour en faire un sac. De cette façon-là, ce serait plus facilement transportable.
Je pris le sac et les pelles pendant qu’Herbert traînait le corps gigantesque du monstre sur le sol derrière lui.
Quand nous fûmes assez enfoncés parmi les arbres, Herbert s'arrêta. Il pointa du doigt le pied d'un arbre et dit :
- Enterrons-les ici.
Je lâchai mon fardeau pendant qu’Herbert en faisait de même.
Je lui tendis alors l'une des pelles et nous commençâmes à creuser entre les racines. La tâche fut longue et harassante. Je pelletais comme une forcenée. J'employais toute mon énergie à la tâche sans me préoccuper de la terre qui maculait mes vêtements. Nous mîmes plusieurs heures à creuser un trou assez grand pour qu'il puisse héberger le corps de géant de la créature.
Enfin, nous fûmes tous les deux satisfaits du résultat.
Je fus la première à jeter ma pelle hors du trou et à me hisser sur le sol. J'aidais Herbert à en faire de même.
J'attrapai les jambes de la créature tandis que Herbert empoignait l'autre côté. Nous le déposâmes avec délicatesse dans le trou. Une fois cela fait, je pris le sac improvisé qui détenait les ossements et la tête et j'allais déposer le tout aux pieds de la créature.
Nous rebouchâmes ensuite le trou. Ça nous prit aussi pas mal de temps mais moins, beaucoup moins, que de le creuser.

*

Quand ce fut enfin fini, je restais debout, complètement vidée. Je me sentais désorientée. J'essayais de ne pas trop réfléchir. Jusque là, j'avais réussi à me vider la tête en accomplissant chaque travail qui s'était présenté à nous. Là, c'était fini et je pouvais à nouveau réfléchir. Quelque chose n'allait pas. Je le savais mais je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus.
Herbert se mit alors à réciter une courte oraison funèbre :
- Lucas, puisses-tu avoir trouvé la paix. Axel, j'espère que toi aussi tu es en paix. Aucun de vous deux ne méritait cela. Vous avez été victime du destin.
Il arrêta. Les mots montèrent en moi et résonnèrent dans mes oreilles. Ils firent vibrer quelque chose de sensible tout au fond de mon être. Les larmes se mirent à couler sur mes joues sans que je puisse les retenir. D'abord faibles, elles commencèrent à dégouliner de plus en plus. Mes jambes tremblotèrent et je m'écroulai sur le sol en sanglot. Tout d'un coup, je sentis une main vigoureuse qui me réconfortait. Je levai la tête. Herbert se trouvait là. Ma tristesse avait trouvé un écho en lui. Il avait les larmes aux yeux.
Doucement, il approcha son doigt de ma joue et essuya une larme. Je lui souris timidement.
Il approcha alors son visage du mien et m'embrassa tendrement.
Nous fîmes l'amour, là, en plein milieu du bois. Nous étions sales, couverts de terres, ça ne nous a pourtant pas empêchés de le faire. Cette première fois fut plus un acte de réconfort que d'amour. Plus tard, nous eûmes l'occasion de s'aimer passionnément.

***

Il n'y a plus grand chose à raconter.

Le lendemain matin, je me réveillai dans mon lit sans aucun souvenir de m'y être couchée.
La première chose que je fis en me réveillant fut d'aller voir au grenier. J'espérais que toute cette aventure ne fut qu'un affreux cauchemar. J'aurais préféré voir Axel affamé, encore lié à sa chaise plutôt que de savoir que je l'avais tué.
L'escalier du grenier était remonté. Je le fis descendre et je montais les marches prudemment, le cœur battant la chamade. La lumière dans la pièce était suffisante pour que je n’aie pas besoin de lampe de poche. Le spectacle qui s'offrit à moi me laissa sans voix. Des débris verts du cocon jonchaient le sol et une tâche rouge de sang séché s'étalait sur le parquet de son brun rougeâtre. Dans un coin du grenier, je remarquai le hachoir à viande qui m'avait échappé la veille. Je le ramassai.
J'avais à peine fini ce mouvement que le téléphone sonna en bas. Je lâchai le hachoir.
Je dévalais les escaliers au pas de courses.

C'était le docteur Laroche. Par quel funeste hasard, m'appela-t-il ce jour-là, je ne sais pas mais ce qu'il m'apprit me fit comprendre des choses qui m'avaient échappées jusqu'alors.
- Christelle ? Comment vas-tu ? Et Axel, son cancer s'est arrêté ? m'interrogea-t-il à toute vitesse sans me laisser le temps de répondre. Nous avons un problème. Tu te rappelle le projet Cancéro-Gène ? Hé bien... il semblerait qu'il y ait des effets secondaires.
Il se racla la gorge.
- La moitié des souris auxquelles on a inoculé le produit sont devenus...autre chose...Je ne peux pas t'en parler, tu ne me croirais pas. Il y a eu des effets secondaire. On a fini par comprendre que c'était à cause de virus qui se trouvaient dans l'organisme. En milieu stérilisé, tout se passe à merveille. Je voulais t'en parler depuis une semaine mais je n'ai pas trouvé le temps. Ça a été la folie au laboratoire. Est-ce qu'Axel va bien ?
Je vis rouge.
- Vas te faire foutre avec tes effets secondaires, lui criai-je en pleine face.
Et je raccrochai violemment.
C'est comme ça que j'ai appris tout ce qui s'était passé.
Le docteur Laroche est en grande part responsable mais rien ne serait arrivé si je ne luis avais pas demandé d'aider mon fils.
Je m'en veux.

C'est Herbert qui s'occupa des formalités de l'enterrement d'Axel mais j'ai l'intime conviction que l'influence du docteur Laroche n'est pas étrangère dans le fait qu'il n'y eut aucune enquête poussée.
En fait, je ne vis même pas de policier. Ça n'étonna personne qu'Axel ait trouvé la mort.
C'est Herbert qui eut l'idée de la supercherie du cercueil vide. Je ne croyais pas que ça marcherait. Je fus donc assez surprise que personne ne me fit remarquer que le cercueil était fermé lors des obsèques.

Voilà, j'arrête là. Je vais aller manger un bon gros repas. C'est le troisième que je prends depuis le matin et on n'est même pas encore quatre heures de l'après-midi.
Je ne sais pas ce que j'ai en ces temps-ci mais j'ai une de ces faims.

Publié dans Récits

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